CHANT GREGORIEN

Le chant grégorien a reçu le titre de » Bible chantée ».

Cela aide par ce caractère scripturaire, à mieux comprendre et mieux vivre l’incomparable foi chrétienne
C’est pourquoi tous les Papes ont, de tous temps, demandé aux monastères bénédictins , de conserver précieusement ce trésor de l’église.

Jean Paul II nous dit :  » Que votre joie intime soit la louange de Dieu, exprimée dans la forte et douce langue latine , dans les sublimes et purifiantes mélodies grégoriennes « 
Selon Vatican II Constitution sur la liturgie:

La nature propre du grégorien, son inspiration, sa valeur spirituelle suffiraient à en faire , le seul possible, « Chant propre de l’Eglise Romaine »
C’est un chant monodique: une seule voix! L’unicité des voix exprime l’unité des cœurs et des esprits qui n’ont qu’une même foi.
C’est la prière commune par excellence, chant au rythme libre, souple et précis , sans fractures rythmiques qui puissent en troubler la paix et la profondeur.
Sa mélodie faite de courbes multiples évoluant vers la modalité classique des huit modes grecs( vieux grec) est capable de traduire tous les sentiments qui animent la prière avec la variété de coloris et les nuances propres à chacun.
En tout cela, rien d’artificiel, de plaqué, de maniéré , l’absence de toute recherche pour produire un effet quelconque, la simplicité du grand Art.
Dès l’an 382 le latin avait remplacé le grec dans l’Eglise Romaine. C’est donc sur la langue latine que va se construire tout l’édifice grégorien, et la majeure partie du répertoire va être tirée de la Bible, des Psaumes , des évangiles.
La mélodie ajoute au texte inspiré une vertu d’intériorisation , le texte modelant la mélodie, la mélodie mettant le texte en valeur, tout entière à son service.
Canal du spirituel, jaillie de la prière de nos anciens, la musique grégorienne ne joue pas seulement son rôle pour la beauté des offices liturgiques, mais elle façonne l’âme de celui qui chante et travaille à sa formation spirituelle, par imprégnation , peut on dire, en raison des richesses de doctrine et de vie qu’elle recèle.
Dans sa sobriété même, et le volontaire dépouillement de son style, elle intériorise la Parole divine et conduit doucement à la contemplation du mystère qu’elle chante…

Texte « Les Trésors du Chant Grégorien »


Le grégorien et son vol

Je veux m’imaginer Saint-Exupéry à bord de son monoplane Laté 25’, attaché à son siège, les yeux vers l’horizon et les mains bien fermes à ses commandes de vol. Je le vois d’après une photographie noir et blanc, mais en ce moment de l’histoire qui veut faire prévaloir l’image aux mille paroles, il me manque le mouvement, l’action. Seulement il me reste presque l’imaginer, à des milles de mètres de hauteur, traversant le Río de la Plate, de Buenos Aires à Montevideo, de Buenos Aires à Rios Gallegos, dans la Patagonie, avant de s’effacer de la terre –des cieux- et de se plonger dans le mystère (1)
Je l’imagine chantant peut-être depuis sa minuscule cabine, dans la glaciale solitude des hauteurs –c’est-à-dire, plus proche de Dieu- certain chant grégorien que, j’en suis sûr, il aimait tellement ; chantant, tout en regardant vers le Ciel, les neumes (2) avec lesquels nous, les pieds sur la terre, nous essayons de chercher le Très Haut.

Ce n’est que tardivement que j’ai lu pour la première fois son Petit Prince. Tard, car comme on le dit souvent, cet opuscule est considéré comme l’une des meilleurs œuvres de la littérature enfantine contemporaine. Cependant, il faut reconnaître que le charme de l’ouvrage donne envie d’en savoir plus sur son auteur, de même que –j’imagine encore- Saint-Exupéry voulait en savoir plus sur le ciel, et c’est pour cela qu’il montait dans son avion, traversait les nuages, dessinait les déserts, les prairies, les mers et les océans depuis les airs ; en regardant peut-être la Création avec les yeux plus proches de ceux du Bon Dieu, solitaire Habitant des Cieux insondables.

Dans une lettre célèbre, il affirmait qu’« il n’y a qu’un problème, un seul, de par le monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle. Des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien » (3). En découvrant cette incroyable affirmation, je me suis dit que cet homme d’action était devenu un contemplatif de l’Air ! – je me suis dit, lorsque j’ai la trouvé. Puis, j’ai compris que moi, personnellement, c’est bien ce que je fais depuis presque 30 ans, lorsque je suis monté sur ces mélodies dénuées de tout, sauf de l’essentiel, qui « est invisible à nos yeux », en laissant de côté les graves cordes de mon violoncelle.

LES PILOTES DE DIEU
Lorsque on chante du grégorien, c’est un peu comme si on soufflait à l’oreille de Dieu sa Parole rendue encore plus belle. Et c’est justement cela le but de cette musique. Quand le chantre se tient debout au milieu de l’église avec un livre entre les mains ou les neumes dans la tête, il ouvre les lèvres « pour que (sa) bouche exprime (sa) louange » (Ps 51,17). Chanter le grégorien fait que chacun devient un véritable pilote de Dieu. Chanter les neumes à Son oreille n’est pas autre chose que voler, monter sur un appareil spirituel 1200 ans antérieur à celui des frères Wright. Un appareil qui, une fois posé sur l’air, monte très haut avec le chant. L’air qui sort des poumons des hommes et femmes, souffle vers Dieu dans un arc ineffable. On essaye d’imiter, même d’une façon très pauvre, la magnificence divine : « Les Cieux racontent la gloire du Seigneur, l’œuvre des ses mains annonce le firmament » (Ps. 19,2).
Mais pour chanter, il faut le faire d’après la volonté divine : « chantez avec sagesse » (Ps. 47,7), c’est-à-dire, commandes en mains, fermement, et le cœur ouvert, afin d’unir la science du chant et celle de l’oraison –la meilleure des théologies- à la route sacrée. Il n’est pas possible de faire autre chose, car ce genre de spiritualité lyrique refuse l’usage du « pilote automatique ». En effet, en considérant le caractère dialogué de la liturgie, une telle chose serait un manque au Deuxième Commandement, car il est écrit : « Maudit celui qui fait mollement le travail de Yahvé ! » (Jer. 48,10). C’est seulement ainsi que l’amoureux de Dieu se lance à sa recherche, en laissant aux hommes les traces de son chemin, comme un sillon d’une semaille prodigieuse. Je me souviens des dessins dans le ciel de Paris offerts par les pilotes aux passants.

SEMER POUR DIEU
Donc chanter le grégorien, c’est semer pour Dieu. Se faire un semeur en marche vers le Ciel, qui cherche la terre fertile des cœurs des hommes. Et, y a-t-il quelqu’un qui ne soit pas sensible à la voix de Celui qui est la pure Beauté, lorsqu’elle s’exprime avec l’art et la majesté qui conviennent à la nature elle-même du répertoire grégorien ? Saint Jean Damascène disait que la musique est « l’art des sons qui s’appellent entre eux ». C’est justement cette succession harmonieuse et mystérieuse avec laquelle celui qui chante tisse, un punctum uni à un autre punctum, un neume juste à coté de l’autre, le chemin jusqu’aux hauteurs, route aérienne à destination du Ciel.
Je continue à imaginer le comte Antoine de Saint-Exupéry installé dans son monoplane, pendant que la lune, féminine, insinue son reflet d’argent sur le fleuve homonyme –le Río de la Plata. Et je l’aperçois, alors qu’il pense faire tomber une copieuse pluie de neumes pour faire que le monde soit meilleur.
C’est ainsi que le chanteur grégorien, missionnaire et semeur de la Parole, aventurier de l’air, laisse des reflets indélébiles quand l’art l’assiste, pendant que l’arc de son vol solitaire est chaque fois plus soigné et pourtant plus proche de la Perfection, jusqu’au jour définitif, où le concert des voix sera unanime, un immense concert sacré comme aucun autre, dans la plénitude de la Présence divine.
Enrique Merello-Guilleminot

(1) En 1998 un pêcheur a trouvé en face de Marseille un bracelet d’identité avec le nom de l’écrivain et pilote et de son épouse Consuelo. Dix ans après on connaît la raison de la mystérieuse disparition de l’auteur du Petit Prince et de Vol de Nuit, parmi d’autres : en étant aux les commandes d’un P-38 Lightning, en vol de reconnaissance avant l’invasion des Alliés en France, -l’« opération Dragon »-, il a été abattu le 31 juillet 1944 par un avion de chasse allemand.
(2) Les signes avec lesquels on écrit le répertoire grégorien. Ils sont d’une ou bien de deux notes pour chaque syllabe du texte.
(3) Voir Lettre au Général X, in « Figaro Littéraire » du 10 avril 1948.

Enrique Merello-Guilleminot